Former et armer les adultes et les enfants contre les violences sexuelles
« Toutes les 3 minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle » : tel est le message délivré par le gouvernement depuis septembre dernier à travers un spot publicitaire diffusé aux heures de grande écoute. Bien avant que ce constat alarmant ne soit relayé dans les médias, la communauté de communes du Val d’Amour s’est engagée dans un programme de prévention des violences sexuelles sur les enfants : « Corps-Accord », un projet conçu et porté par deux professionnelles du social et de l’enfance, Aurélie Rolland et Hendrina Branchard.
Agir en amont des agressions sexuelles
Toutes les deux ne voulaient plus seulement signaler les violences sexuelles faites aux enfants ; Aurélie Rolland et Hendrina Branchard agissent aussi désormais en amont à travers des actions de prévention. « Enumérer des chiffres, cela contribue à briser le silence. C’est une bonne chose, car le silence est le meilleur allié des agresseurs. Mais il faut aller plus loin », lance Aurélie, éducatrice de jeunes enfants et conférencière du spectacle vivant.
En 2021, elle est contactée par Hendrina, assistante de service social depuis 2010 et intervenante indépendante, qui a entendu parler de son spectacle, une conférence gesticulée à travers laquelle elle raconte « le parcours d’une victime d’un pédo-criminel ». « Nous avions la même envie, explique Hendrina, celle de faire de la prévention et de monter un projet sur le secteur. »
Les deux femmes créent alors un programme baptisé « Corps-Accord ». Objectifs : former les professionnels, donner des pistes de prévention aux adultes et sensibiliser les enfants à des thèmes tels que le corps, l’intimité, le secret ou encore le consentement.
Le projet « Corps-Accord » s’articule autour de 3 axes principaux, lesquels s’inspirent d’un programme de prévention québécois qui, depuis 30 ans, s’adresse aux enfants, aux adultes, aux écoles, etc. Depuis le début de l’année scolaire, les équipes et les enfants du Val d’Amour participent à ce programme à la fois ambitieux et salutaire.
La formation des équipes : informer de la réalité des violences
« Le premier temps concerne les professionnels et les bénévoles qui interviennent auprès des enfants », explique Hendrina. « La communauté de communes s’est beaucoup impliquée pour inciter ces personnes à venir à la formation et à faire du sujet des violences sexuelles un sujet de prévention comme un autre. » Lors de ces ateliers, l’intervenante informe son public de la réalité des violences, de leurs conséquences sur les victimes et de leur coût pour la société en termes de santé publique. Hendrina et Aurélie aident également les participants à construire des ateliers de prévention destinés aux enfants.
Conférence gesticulée : un spectacle pour sensibiliser le grand public
Le programme « Corps-Accord » s’adresse aussi au grand public. Le temps d’une soirée, Hendrina et Aurélie sensibilisent parents et adolescents (à partir de 14-15 ans) aux questions des violences sexuelles. Après qu’Hendrina a donné informations et pistes de prévention, Aurélie entre en scène… habillée en princesse. « Je traite d’un sujet grave, mais je me permets de le raconter à la manière d’un conte de fées », explique l’auteure de cette conférence gesticulée autobiographique qui alterne récit, poèmes, chansons... Dans Princesse Békille et les grands méchants loups, « je mets des paillettes sur l’histoire, je prends soin de mon public », explique la conférencière qui concède « faire du mal » avec ce qu’elle raconte sur scène. « Princesse Békille est une super-héroïne, une justicière qui a un pouvoir, celui de faire rire, de faire des blagues, tout en restant sérieuse, mais sans jamais verser dans le pathos. » Gratuit, ce spectacle a eu lieu à la salle des fêtes de Mouchard le 24 novembre dernier.
Des activités de prévention adaptées aux enfants
Le troisième temps du programme est consacré aux enfants. Les 8 accueils de loisirs périscolaires du Val d’Amour ainsi que le Secteur jeunes sont concernés. Pendant la pause méridienne, les enfants participent à des ateliers composés de moments d’échange, de jeux, de lectures, de danses, de chansons… L’objectif est de leur donner des armes pour se protéger, notamment en apprenant à reconnaitre une situation anormale, en osant dénoncer, en s’adressant à une personne de confiance quand un danger est pressenti, en distinguant les « mauvais » des « bons » secrets, etc. Aurélie et Hendrina cherchent aussi désormais à adapter ces activités d’une part aux tout petits, les 0-3 ans, et d’autre part aux adolescents et pré-adolescents.
Les chiffres*
1 enfant sur 10 est victime de violence sexuelle, ce qui représente 2 à 3 enfants par classe
1 enfant se fait agresser sexuellement toutes les 3 minutes en France
1 femme sur 5 et 1 homme sur 14 déclarent avoir subi des violences sexuelles
81 % des victimes déclarent avoir subi les premières violences avant l’âge de 18 ans et 51 % avant l’âge de 11 ans
Les enfants ont en moyenne 10 ans au moment des faits
Dans plus de la moitié des cas, l’agresseur était un membre de la famille
Les conséquences des violences sont très lourdes : près d’une victime sur deux a fait une tentative de suicide
119 : le numéro de téléphone pour l’enfance en danger destiné aux victimes et à leur famille
*Sources : UNICEF/IPSOS
Former les encadrants et sensibiliser les enfants du territoire
Paulette Giancatarino, 3e vice-présidente en charge de l'enfance jeunesse.
Dans quelles circonstances avez-vous connu et mis en œuvre le projet Corps-Accord ?
C’est la responsable du service petite enfance qui, à l’occasion d’une réunion, nous a rapporté l’émotion que ses anciennes collègues avaient eue en assisant au spectacle gesticulé d’Aurélie Rolland, Princesse Békille. De là est née une réflexion sur ce que la collectivité était en mesure de faire pour lutter contre ce fléau.
C’est donc tout naturellement que l’équipe de direction du Pôle a pris contact avec Aurélie et Hendrina Branchard et que nous avons abouti à la mise en œuvre du programme de prévention Corps-Accord. Toutefois, au vu de l’ampleur des chiffres des violences sexuelles sur les enfants, il nous semblait dommage de limiter notre action à la seule programmation du spectacle. Si nous voulions bien faire les choses, il fallait informer le grand public, mais aussi former les professionnelles et sensibiliser les enfants.
Quelles sont les raisons pour lesquelles la communauté de communes participe au programme Corps-Accord ?
Déjà en 2022, la communauté de communes avait organisé une conférence sur la sexualité en ligne afin de sensibiliser les collégiens à ce sujet. Pour nous, il était naturel de continuer ce travail en participant au programme Corps-Accord. Ce projet ambitieux permet de faire prendre conscience de l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants. Selon les chiffres de l’INSEE, dans chaque classe d’école, deux à trois enfants sont concernés ! Nous voulions apporter des réponses concrètes en formant les encadrants, en leur donnant des pistes pour prévenir les agressions et pour sensibiliser les enfants à des sujets aussi variés que délicats tels que le corps, le consentement ou l’intimité.
Zoom sur l’accompagnement financier de la CAF
La CAF diffuse chaque année un appel à projet dans le cadre du « Fonds publics et territoire », lequel contribue à répondre aux besoins des familles et des territoires en s’appuyant notamment sur des « démarches innovantes ».
La CAF a donc décidé d’accompagner financièrement la collectivité du Val d’Amour dans un projet sur la prévention des violences sexuelles à l'égard des enfants. En effet, il traite une thématique grave, un sujet qui touche l’intimité des familles, et il fait appel à des supports originaux et variés (conférence gesticulée, ateliers pour les enfants, formation des professionnels…) tout en s’adressant tant aux enfants eux-mêmes qu’aux familles et aux professionnels des ALSH.
